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INTERVIEW Courrier de l'Ouest • Sans doute du bon à en tirer

Pierre-Yves CROIX - Le Courrier de l'Ouest - lundi 11 mai 2020

À l’heure du déconfinement, la députée européenne Catherine Chabaud, installée à Beaucouzé, veut croire aux vertus, pour le monde de demain, de cette parenthèse contrainte.

Certains ont établi des parallèles entre le confinement et ce que peuvent vivre les navigateurs, seuls en mer. cette comparaison a-t-elle du sens, selon vous ?

Catherine Chabaud : « Oui, sur beau- coup d’aspects, même s’il y a bien sûr une grosse différence, parce que le navigateur solitaire est dans une situation qu’il a souhaitée. 55 jours (NDLR : la durée du confinement de- puis le 17 mars), c’est à peu près la moitié de ce que j’ai vécu lors de mon premier Vendée Globe (140 jours en mer, lors de l’édition 1996-1997). Le premier des rapprochements, c’est que l’on est dans un lieu duquel on ne bouge pas. »

N’y a-t-il pas, aussi, une dimension psychologique assez similaire ?

« La première chose, c’est l’éloigne- ment des proches. Même si, une fois encore, ce départ en mer est souhaité, il n’en demeure pas moins que lorsque l’on part, il y a un arrache- ment des gens qu’on aime. Et quand on rentre, la première chose que l’on souhaite c’est les retrouver. Ce sera pareil au sortir du confinement : dès qu’on pourra faire plus de cent kilo- mètres, j’irai immédiatement à Paris voir ma maman. »

Voyez-vous d’autres points communs entre le « confiné » et le navigateur ?

« Oui, il faut arriver à organiser, à rythmer sa vie au quotidien, avec des rituels, des rendez-vous réguliers, y compris quand on est seul. On a aussi besoin de s’évader. Aujourd’hui, les gens ont beaucoup recours aux écrans. Moi, sur mon premier Vendée Globe, j’ai lu vingt bouquins. »

On peut avoir, dans les deux cas, des coups de blues...

« Oui, et inversement, on peut avoir des moments de grâce. C’est l’opportunité de prendre du recul par rap- port à sa propre vie. Dans les deux cas, on est plongé dans une inconnue où il va falloir trouver ses marques. »

C’est peut-être difficile d’en prendre conscience dans une situation contrainte, non ?

« Sans doute, mais je reprends le parallèle. Quand le marin s’apprête à affronter une grosse tempête, il ne l’a pas choisi. Il a choisi la mer, pas forcément la violence des éléments. Il y a une chose que m’a apprise la mer, c’est de composer avec, et sur- tout de ne pas lutter contre. À par- tir du moment où ce virus nous est tombé sur la tête, il a fallu qu’on com- pose avec. Il ne fallait pas chercher à lutter contre cet état de fait, tenter de trouver des coupables, etc. Il fallait réussir à privilégier les centres vitaux : les proches, entretenir sa santé et son moral. Il y a une acceptation à avoir. C’est un moment dont il faut essayer de faire quelque chose. Le voir comme une opportunité, lâcher prise. »

Le déconfinement partiel qui dé- bute aujourd’hui peut-il se rapprocher du retour sur terre pour le marin ?

« Retrouver les proches est évidemment la première chose qui me vient à l’esprit. Mais cette fois, il n’y aura pas de contact physique. Moi, je suis une tactile. Là, il va falloir continuer à garder ses distances. Alors que quand je suis rentrée de mon premier Vendée Globe, je suis tombée dans les bras des gens que j’aimais. »

Retrouver vos proches, après une course en solitaire ou lors de ce dé- confinement, est votre priorité. mais juste après, quelle était et quelle sera votre première envie ?

« Quand on revient sur terre, c’est un steak-frites salade. Pour le déconfinement, ce ne sera pas le coiffeur. J’ai demandé le week-end dernier à mon mari de me couper deux centi- mètres de cheveux. Il y est allé de bon cœur... Non, la première chose que j’ai envie de faire, c’est revoir la mer. On a une maison dans le Morbihan, mais c’est à plus de 100 kilomètres... Il va falloir attendre un peu. »

Ce déconfinement est un soulagement. Quand on revient d’un long voyage en mer, n’y a-t-il pas, a contrario, une sorte de tristesse au moment de débarquer ?

« Les deux existent, oui. Les jours qui précèdent le retour sur terre, on n’a qu’une envie, c’est d’arriver. Et à mesure qu’on se rapproche, on se dit que ce moment privilégié qu’on est en train de vivre va s’arrêter. Est-ce que j’en ai profité autant que j’aurais pu ? »

Même si le confinement a été compliqué, voire douloureux pour certains, cette question-là ne vaut-elle pas également pour cette période qui s’achève ?

« Je le crois. Il y avait sans aucun doute du bon à en tirer. Pour ma part, j’ai vécu un confinement trop connecté. La communication en permanence. Je rêverais de pouvoir couper plus souvent mon téléphone. Prendre du temps pour moi, pour réfléchir. Je n’ai pas réussi à trouver cette liberté, sauf pendant le week-end. »

Vous sentiez-vous différente après une longue période en mer ? et pensez-vous que ce sera le cas après le confinement ?

« Parmi les promesses que je me suis faites en mer, j’en ai tenu certaines : ne pas hésiter à dire aux gens qu’on aime qu’on les aime, par exemple. Ce confinement doit générer de belles résolutions. »

C’est la question du monde d’après...

« Oui. On doit essayer d’être plus solidaires, de faire de vrais bons choix pour soi, pour le monde qui nous entoure, pour la planète. Ce monde d’après, je travaille déjà dessus dans le cadre de mon mandat de députée européenne. Je tiens notamment beaucoup à la notion de responsabilité individuelle et collective. On apprend en ce moment que c’est par nos gestes individuels et collectifs qu’on permet non seulement de ne pas propager le virus, mais aussi de soutenir, par exemple, les agriculteurs de notre coin. Il faudra être solidaires, demain, dans nos actes d’achat. »

C’est votre vœu, votre engagement. Mais croyez-vous vraiment que ce confinement va permettre de changer les choses ?

« Je suis de nature optimiste. Certains pourraient dire utopiste, peut-être. J’espère que le plus grand nombre aura retenu au moins ces deux leçons : la solidarité et la responsabilité individuelle et collective. Je veux croire que ce confinement aura permis d’accélérer cette prise de conscience. »